Wednesday, February 9, 2022

Ta mort

Ça fera quatre ans. Quatre ans. Quatre. Tu es parti de ta propre volonté, le vendredi 13 avril 2018. Tu avais encore toute ta tête pour décider du moment. Au bout de tes souffrances, tu as demandé au docteur de partir. Il avait laissé ça entre tes mains, il n’y avait plus rien à faire. Il n’y avait que de la souffrance insoutenable, qu’il ne pouvait plus soulager sans risquer de provoquer ta mort. Ta volonté féroce t’aurait maintenu combien de jours encore? Nul ne saura jamais. Tu as réussi à voir chaque personne que tu désirais voir avant de partir et puis, tu as accepté de partir. Tu n’avais aucune conscience des jours et des nuits. Tu ne le sais pas, mais tu es parti un vendredi treize. Lorsque l’on connaît ton amour des films d’horreur ''gore'', il y a de quoi sourire.

J’ai appris ta mort le lendemain matin. Tu sais, lorsque j’y pense, tout me semble encore surréel. J’ai encore une appréhension à l’approche de la date. Ta mort. Ton enterrement. Ma fête. Ta fête. J’ai pris du mieux. Beaucoup de mieux même. Toute la première année de ton départ sans exagération aucune, je peux affirmer avoir pleurer chaque soir. Chaque jour. J’ai traversé toutes ces premières fois sans toi, toutes les fêtes, les occasions et les rituels, comme une automate. Toute cette première année sans toi, je l’ai vécu dans un état second. J’ai vraiment perdu beaucoup de gens dans ma vie. Bien sûr inutile de dire que l’on ne s’habitue pas. Jamais. Ta mort? Elle a été inattendue, et m’a fait violence. Elle m’a fouettée comme aucune autre. Des deuils, j’ai dû en faire vraiment beaucoup. Le deuil de toi est le plus long et le plus douloureux à ce jour.

Je me souviens du moment. J’ai hurlé et je me suis juste effondrée sur le sol de la salle de bain du premier étage. Mon monde venait de s’écrouler, je ressentais une douleur difficile à décrire. Je craignais que cette douleur ne cesse jamais. Habituellement, je fais comme il faut. Habituellement je suis celle qui est calme. Tu te souviens lorsque qu’Édouard a été entre la vie et la mort? Mon bébé qui ne respirait plus par lui-même, Tristan confus et tout le monde venu me rejoindre à l’hôpital, pleurant et paniquant. Moi, debout, consolant et rassurant, alors qu’à l’intérieur j’avais la pire des trouilles de toute ma vie. Mis à part moi, tu étais le seul d’un calme absolu. Tu as été mon roc. Ben Réal, lorsque j’ai appris ta mort, j’ai perdu mon roc. J’ai perdu le nord, mon calme et ma tête. Je n’ai pas pensé à mes fils qui auraient mal eux aussi de ta perte. Je n’ai pas pu retenir mon hurlement, tel que je sais si bien le faire habituellement. Prise au piège par ma propre réaction. Et pourtant je savais. Malgré ça, je me suis effondrée et ça me prendrait longtemps avant de me relever vraiment.

Honnêtement, j’ai été une automate durant un an. Tu ne peux pas savoir à quel point je t’aime, à quel point tu as été important. Un parent, un point de référence, mon roc, mon confident, mon complice. Je ne pleure plus tous les jours, je n’ai plus mal constamment. Mais je ne sais pas pourquoi, quatre ans ça semble... beaucoup. Ça passe trop vite! C’est absurde mais c’est comme si ça me fâchait parfois de m’apercevoir que la vie continue. Sans toi. Je me sens comme une gamine ingrate et irréaliste. Mais c’est comme ça. Mon deuil et son chagrin vont mieux. Mais tu me manques toujours autant. Il y a une certaine paix, mais je pense à toi tous les jours. D’une manière ou d’une autre.

Je me suis sentie tellement démunie et seule après ton départ. Je me souviens avoir dit à mon ex l’instant suivant la nouvelle de ta mort ''Je suis toute seule maintenant. Vraiment toute seule.'' Ça ne lui a pas plu, évidemment. Bien sur j’ai mes fils, mais à l’époque il avait fait le vide autour de moi. Je n’avais plus de parents, je n’avais plus personne me liant à ma vie avant lui. Heureusement il y avait Renoir. Heureusement il y avait mes merveilleux fils. Heureusement il y avait ce collègue, cet ami, qui est soudainement sorti de l’ombre dans laquelle il était discrètement tapi. Dans le rôle d’un ami discret, chevaleresque et respectueux. Doucement, il allait prendre de plus en plus de place. Manifestant son amitié et les réels sentiments qu’il me portait, en prenant soin de moi à la moindre occasion. En étant de plus en plus présent à mes côtés au boulot, mais aussi dans ma vie. Exprimant son souci de moi, avec respect mais affirmant davantage sa présence. Notre amitié évidemment est devenue plus forte, solide et évidente. Il n’a pas profité de ma vulnérabilité. Au contraire. Il a été véritablement présent pour moi. Plus ouvertement mais toujours aussi respectueux et chevaleresque. Nous nous sommes indiscutablement rapprochés durant cette période.

D’ailleurs, il était présent lorsque ce fut le premier anniversaire de ton départ. Nous étions dans un gala organisé dans le cadre de nos emplois. Cette journée-là, mon ex a été d’un égoïsme rare encore une fois. Me faisant une crise car c’était long et plate. Me faisant une scène, menaçant de partir, de revenir me chercher plus tard. Moi, je l’ai accompagné à de si nombreuses occasions dans le cadre de son boulot. Sans rechigner. C’était aussi l’anniversaire de ta mort. Son insensibilité m’a sidérée; je ne m’y suis jamais faite tout à fait. Espérant toujours mieux du père de mes fils. J’ai inventé une crise d’anxiété (il y avait beaucoup de gens) et un surmenage au boulot pour excuser ce que certaines personnes auraient pu voir ou entendre. Son attitude m’a fait sentir encore plus seule. Et seule, je me sentais si profondément déjà depuis ta mort.

L’alcool coulait à flot à cette occasion. Je bois peu. Je n’ai jamais ''virer de brosse'' et je suis d’ordinaire très raisonnable. J’ai bu. Plus que de raison. À avoir du mal à marcher, à en avoir oublié des bouts au sujet de cette soirée. Chose qui ne m’était à vrai dire, jamais arriver. J’ai pleuré, ça je sais. Je me suis cramponné à la main de mon ami et collègue. Je ne m’en souvenais plus, mais il me l’a rappelé. Que personne n’ait rien vu, est étonnant. Sous le nez de mon mari d’alors qui plus est. Au moment de partir, il était pressé et est parti comme une fusée. J’ai pris le bras de mon collègue et ami. Pour me donner contenance, j’arrivais à peine à marcher. Je me suis déposée contre lui. Je me suis sentie en sécurité, mais ivre, tout était vague. C’est aussi à son bras que j’ai descendu l’escalier. Ensuite, tout devient flou.

Nous devions aller le reconduire chez lui, mais nous avons fait un détour pour un café et, un tour sur le bord de l’eau. Mon ex a été seul sur le bord de l’eau. Nous laissant seuls. Ensemble. J’étais tellement, tellement ivre! Mais j’étais avec cet homme que j’aimais, et je savais que j’étais en sécurité. J’avais plus qu’engourdi mon mal. J’avais carrément noyer ma peine de ce premier anniversaire dans une quantité ridicule d’alcool. Tout ce que j’ai trouvé à faire, c’est taquiner cet homme que j’aimais. Au sujet d’une représentante qui en pinçait pour lui. J’étais jalouse! Et comme une gamine jalouse je le taquinais sans répit. Il a été d’une tendresse et d’une patience. Il a veillé sur moi, et je ne le savais pas encore, mais il me couvrait d’un regard amoureux. Il me trouvait belle, et était attendri, alors que moi, comme une enfant devant son intérêt romantique, je le piquais et le taquinais. Inutile de dire que lorsque j’ai retrouvé mes esprits le lendemain matin, j’étais embarrassée. La situation était en soi étrange et en plus j’avais montré à mon ami une facette de moi ou deux, don’t je n’étais pas particulièrement fière. Il n’en a pas fait de cas, avec sa bonté, sa tendresse et son empathie habituelles.

Cette longue anecdote simplement pour dire, qu’il était à mes côtés assez drôlement, lors du cap du premier anniversaire de ta mort. Mon ex fuyait à la moindre occasion, mais mon futur mari était à mes côtés. Tu l’aimerais c’est certain. Il y est pour beaucoup dans ma joie de vivre retrouvée, et, la progression positive de mon deuil. Et toi, ta mort est une des portes qui m’a permis de franchir les murs que je m’imposais face à mes sentiments pour lui. À ta mort j’ai su que mon union avec le père de mes fils qui était expriée depuis longtemps, devait et allait prendre fin. Je n’y étais pas heureuse. Je ne savais pas ni quand ni comment, mais ce départ au sujet duquel je tergiversais intérieurement depuis des années, allait se produire. Après ta mort, je me suis juré de vivre. Et non pas seulement de survivre et exister. Les événements ont déferlé entre lui et moi. Lui, étant mon présent mari. Dans sa vie et dans la mienne. Nous étions deux aimants depuis le premier regard. Je comprends que c’était une question de temps. Nous, c’était inévitable. Je suis heureuse désormais, Réal. Me reste juste à retrouver mon père. Ce qui te fera sans doute plaisir.

Ça fera quatre ans cette année et ça me choque. Autant d’année sans toi. Je peux plus raconter d’histoire lorsque je vais moins bien. Tu ne passerais jamais quatre ans sans me voir, sans voir les enfants. Et moi non plus je ne passerais pas autant de temps sans contact avec toi. J’ai toujours une appréhension qui commence en février et qui connaît son apothéose vers le treize avril. Je ne sais jamais comment je vais me sentir. Comment je vais vivre et revivre ces jours, ces semaines, puis ce jour et puis de nouveau ces jours. Tu laisses un cratère abyssal de vide dans ma vie. Tu me manques. Même si mon Amoureux a apaisé mon chagrin. Et le temps aussi. Ton absence elle, ses effets sur mon cœur son variables. Certains jours je ris et je souris en pensant à toi. Il y en a beaucoup plus de ceux-là. C’est sans doute ce que tu voudrais. Ce que tu veux. Lorsque les garçons t’évoquent, mon cœur se serre tout en éprouvant une douce chaleur. Lorsque certaines dates, certains souvenirs remontent, mes larmes piquent mes yeux et remontent. Il y a aussi ces nombreux moments ou ton absence réveille des cris et le manque absurde de ta personne. Parfois des joies que j’aurais voulu partager avec toi. Sais-tu que je me suis surprise à te chercher sur mes photos de mariage? Je me suis dit que c’est parce que, comme lors de chaque événement, c’est toi qui prends les photos. À quel point je suis pétée et brisée de manière ridicule parfois! J’aurais tellement voulu que tu sois présent. J’aurais tellement voulu que tu sois témoin des retrouvailles de maman et de mes fils. J’entends des gens bien intentionnés me dire que tu étais là, sous une forme ou une autre. Et ils ont raison, je le sais bien. Mais moi, c’est toi au complet de qui je réclame la présence. Je dois me contenter comme tout mortel, de croire que tu étais parmi nous, n’est-ce pas? Parfois ça fonctionne, parfois je te sens. Parfois ce n’est simplement pas assez. Je dois être bien ingrate. Que veux-tu! À mon âge on ne se refait pas, hein?

Bref... tu me manques. C’est ça qui est ça. Ta force tranquille. Ta présence indéfectible dans les pires et les meilleurs moments, et lors de tous les moments entre le meilleur et le pire. Une part de moi cherche encore comment vivre sans ta présence rassurante, aimante et si importante.


 

5 comments:

Baphomet said...

Very sorry for your loss. Happy he’s been there for you ever since.

Anonymous said...

Ce texte est emouvant et beau.

Anonymous said...

Vraiment désolé pour ta perte Caro. C,était un vrai bon gars.
Ben

Anonymous said...

J'ai un rapport pas très simple avec la mort. Je te trouve courageuse.
Alice

Anonymous said...

Very sorry Caroline. Le barbu was a nice guy.
Dom

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